Modèle de lutte contre le cancer du col de l’utérus, le Sénégal est devenu en 2018 le premier pays de l’Afrique de l’Ouest à introduire dans son programme de vaccination de routine le vaccin contre le papillomavirus humain (HPV). Cependant, bien qu’en 2019, le pays atteigne un chiffre record avec une couverture vaccinale de 96%, ce score a largement chuté depuis. Quelles en sont les raisons et quelles stratégies le pays devrait-il mettre en place pour remonter la pente ?
Premier cancer gynécologique au Sénégal
Le cancer du col de l’utérus est l’un des rares cancers où il a été possible d’identifier la cause formelle de la maladie. “C’est ce qui en fait un cancer que l’on peut prévenir, et que l’on peut éliminer, voire éradiquer”, a souligné le Dr Badiane, Chef de la division de l’immunisation et Coordinateur du Programme Élargi de Vaccination (PEV) au Sénégal. En effet, c’est l’infection persistante par le papillomavirus humain (HPV), maladie sexuellement transmissible, qui est responsable de la majorité des cancers du col de l’utérus.
Quatrième cancer le plus fréquent chez la femme, cette maladie cause plus de 266 000 décès chaque année dans le monde. La charge de morbidité de ce type de cancer est plus élevée chez les femmes vivant dans des pays aux ressources limitées. En effet, plus de 85% des nouveaux cas et décès surviennent dans les pays les moins développés, la région de l’Afrique subsaharienne arrivant en tête.
Au Sénégal, selon le Fond mondial de recherche contre le cancer, le taux de cancer du col de l’utérus figure parmi les vingt plus élevés au monde. Il s’agit du premier cancer gynécologique, et plus de 1200 femmes meurent chaque année de cette maladie. “Avant l’introduction du vaccin, la mortalité était très élevée car les cas étaient vus à des stades où l’on ne pouvait plus rien faire. De même, le plateau technique ne suivait pas, ce qui fait que la plupart des cas diagnostiqués se soldaient par un décès”, a précisé le Dr Badiane.
Introduction du vaccin dans le Programme Elargi de Vaccination
Depuis 2009, l’Organisation Mondiale de la Santé recommande aux pays d’introduire le vaccin contre le HPV au travers de deux doses administrées et de cibler principalement les filles âgées de 9 à 14 ans dans les pays où la prévention de ce cancer est une priorité de santé publique et où l’introduction du vaccin est réalisable sur les plans programmatiques et économiques.

Selon le Dr Badiane, le vaccin anti-HPV était disponible au Sénégal mais non inclus dans le PEV. “Il était accessible dans les pharmacies, malheureusement à un coût très élevé. Grâce à l’intense plaidoyer mené par la société civile, les professionnels de la santé et associations de malades, ce vaccin a été intégré et rendu accessible aux populations”.
En 2014, le Sénégal met en place une phase pilote dans trois districts sanitaires situés dans les régions de Thiès et Dakar, permettant de vacciner 50 000 enfants. Le 31 octobre 2018, le pays devient le 1er pays de l’Afrique de l’Ouest à introduire le vaccin contre le HPV dans son Programme Élargi de Vaccination (PEV) de routine, avec l’appui de partenaires stratégiques comme Gavi Alliance, l’OMS, l’Unicef, Path et le Ministère de l’Éducation Nationale. Le vaccin, qui cible les filles âgées de neuf à dix ans, est désormais offert à grande échelle au travers de deux doses espacées de six mois.
Impact de la pandémie sur le système de vaccination au Sénégal
En 2019, la couverture vaccinale pour la deuxième dose dépasse les 90%. Un an plus tard, elle chute à 35% puis à 24% en 2021. Selon le Dr Barro, Vaccinologue et Program Manager chez Askaan, plusieurs raisons expliquent cette baisse telles que (i) l’introduction d’un nouveau vaccin, (ii) le recrutement d’une nouvelle cible et (iii) la survenue de la pandémie à Covid 19.
En effet, jusque-là, l’ensemble des vaccins utilisés dans le cadre de la vaccination de routine au Sénégal ciblait les enfants de 0 à 23 mois, tous sexes confondus. Pour le HPV, la donne est différente “On doit vacciner des enfants qui sont en dehors de la fourchette d’âge habituelle, puisqu’ils ont entre neuf et dix ans, et on ne cible que le sexe féminin, malgré que ce soit une maladie sexuellement transmissible”, a précisé le Dr Barro.
Outre l’aspect lié au changement de cible, la cause principale de la baisse de la couverture vaccinale est la pandémie à COVID 19, venue impacter négativement les systèmes de santé, et en particulier la vaccination.
La vaccination contre le HPV a été la plus impactée, puisque la plupart des filles entre neuf et dix ans sont scolarisées. “Notre stratégie de vaccination était à 80% basée sur l’école. Quand le COVID est arrivé, non seulement il n’y avait plus l’école, mais les populations ne fréquentaient plus les structures de santé et le personnel de santé priorisait davantage la lutte contre la pandémie que les autres activités de promotion”, a expliqué le Coordinateur du PEV.
Rumeurs et fausses informations sur les vaccins
Enfin, les rumeurs et fausses informations véhiculées autour de la vaccination durant la période pandémique ont certainement également joué un rôle important dans la baisse de cette couverture vaccinale. “Une des rumeurs qui circulait était que l’on prenait les africains comme cobayes pour les vaccins. Lorsque les écoles ont rouvert en 2021, les communautés sont restées réticentes à ce qu’on l’on vaccine les adolescentes, disant que ce n’était pas le vaccin contre le HPV, mais des vaccins anti-COVID que l’on testait sur elles”, a souligné le Dr Badiane.

Du fait de ces réticences, le Ministère de la santé a pris la décision d’élargir la cible aux filles jusqu’à quinze ans afin de ne pas rester avec des stocks de vaccins aux dates de péremption proches. Cependant, bien qu’en 2022, la couverture vaccinale soit légèrement remontée, le pays reste loin des résultats obtenus avant COVID 19.
En avril dernier, le groupe consultatif stratégique d’experts sur la vaccination (SAGE) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré qu’une dose unique de vaccin contre le HPV est comparable à deux ou trois doses pour fournir une protection solide contre les infections à papillomavirus humain.
“C’est une nouvelle recommandation qui n’a pas encore été appliquée au Sénégal. Il faut d’abord que la question soit soumise au comité des experts, le comité consultatif sur la vaccination. Si le comité est favorable à une seule dose, je pense que le PEV prendra les mesures nécessaires pour son application avec comme avantages de réduire le nombre de déperditions entre la première et la seconde dose, mais également de vacciner plus de filles. Notre objectif, en 2023, est de parvenir à vacciner 90% des filles éligibles”
Quelles solutions apporter ?
La solution est d’agir “à plusieurs niveaux”, explique le Dr Barro, Program Manager chez Askaan. Par rapport à l’offre de service, il faut selon lui redynamiser les activités classiques, revoir l’organisation ainsi que la collaboration avec le secteur de l’éducation. “Dans ce cas précis, on ne peut pas bâtir une stratégie de vaccination sans tenir compte du secteur de l’éducation”, insiste-t-il.
Pour le Dr Barro, il est primordial de pouvoir identifier des points focaux au niveau des différents établissements scolaires qui vont travailler main dans la main avec le secteur de la santé en vue de favoriser l’échange d’informations. “Ceci va permettre à l’infirmier chef de poste de programmer ses séances de vaccination dans les établissements scolaires, en interagissant avec les points focaux, afin qu’ils établissent un calendrier de passage, qu’une liste des enfants soit mise à jour, et qu’un suivi puisse être effectué”.
Cependant, toutes les filles ne fréquentent pas l’école, et le Sénégal met également en place des stratégies de vaccination classiques au niveau communautaire. “A ce niveau, il faut donc y intégrer la nouvelle cible pour vacciner systématiquement les filles de neuf à quinze ans”.
“On devrait intégrer le suivi des enfants à vacciner”
Le deuxième volet sur lequel agir est au niveau de la demande. Au Sénégal, dans le cadre de la mise en œuvre des activités de la cellule de la santé communautaire, des comités de surveillance ont été mis en place. “Je pense qu’au-delà du paquet de surveillance, on devrait intégrer le suivi des enfants à vacciner pour chaque quartier et chaque village, c’est-à-dire le suivi des enfants âgés de zéro à vingt-trois mois, mais également les filles âgées de neuf à quinze ans”.
La proposition du Dr Barro favoriserait l’interaction et la communication entre les comités de surveillance et les chargés de la vaccination. “Si on connaît la cible prévisionnelle, cela facilitera la programmation des sessions de vaccination et on aura davantage d’efficacité en termes de couverture vaccinale« , assure-t-il.
Le renforcement des capacités des enseignants sur la maladie, la sensibilisation et la communication dans les classes pour lutter contre cette maladie ainsi que la formation des membres des comités de surveillance constituent également des volets essentiels pour redynamiser le programme de vaccination autour de cette cible et ainsi améliorer la couverture vaccinale contre le HPV au Sénégal.

Un dispositif de suivi en temps réel
Dans le cadre de la vaccination contre le papillomavirus humain (HPV), nous pensons à Askaan que la mise en place et le déploiement d’une plateforme de suivi à temps réel, en somme la digitalisation des données, pourrait améliorer de manière significative les performances du pays.
“Ainsi, les personnes qui vaccinent enregistrent chaque fille. La plateforme génère ensuite des rapports, des taux de couverture, ce qui fait qu’un médecin chef de district qui est dans son bureau peut voir pour chaque zone de responsabilité combien de filles sont attendues, combien ont été vaccinées, combien il en reste. Il va ensuite pouvoir identifier les zones à problèmes mais également apprendre des zones performantes ”
Cette plateforme pourrait être utilisée dans le cadre de la lutte contre le cancer du col de l’utérus, mais également prendre en compte l’ensemble du Programme Élargi de la Vaccination, y compris les vaccins destinés aux enfants de 0 à 23 mois. L’utilisation des nouvelles technologies en faveur de la vaccination contribuerait ainsi “au droit fondamental de chacun à la possession du meilleur état de santé physique et mental qu’il est capable d’atteindre et à rendre le monde plus sain, plus sûr et plus prospère pour tous” (cf immunization agenda 2030 OMS).