
Depuis 2019, Askaan intervient dans la région de Kankan, en République de Guinée, pour renforcer la vaccination de routine.
Entre 2012 et 2018, la proportion d’enfants vaccinés avec le VPO 3 et le Penta-3 est respectivement passée de 55% à 46% et de 52% à 47% selon les enquêtes démographiques et de santé. De même, l’Enquête en grappes à indicateurs multiples (MICS) a indiqué une réduction des taux de couverture du BCG, du VPO 3 et du Penta-3 entre 2008 et 2016. Les taux d’abandon du vaccin Penta sont passés de 26% à 38% entre 2012 et 2018. Parmi les multiples causes de ces contreperformances figurent la non maitrise des flux migratoires.
En effet, sur les cinq préfectures que compte la région de Kankan, quatre partagent des frontières avec le Mali ou la Côte d’Ivoire. En sus, une grande partie de l’activité économique de la région est rythmée par les saisons, reposant sur l’agriculture pendant la saison pluvieuse (de mai à octobre) et sur l’orpaillage pendant la saison sèche (de novembre à avril).
L’activité minière combinée à la position géographique de Kankan entrainent un important flux de migrants, parmi lesquels se trouvent des enfants éligibles à la vaccination.
Ceci pose de nombreux défis quand à la maitrise de cette cible et sa vaccination.
Pour circonscrire la problématique, il est primordial de comprendre l’activité minière et le flux migratoire qui l’accompagne.
Caractéristiques des flux migratoires et de l’orpaillage traditionnel
Selon l’Organisation Internationale pour les Migrations (Research Brief-West and Central Africa “Gold Rush” in Upper Guinea : Migration Profiles and Dynamics), la migration vers les sites d’exploitation de l’or en Guinée apparaît comme une migration saisonnière qui a lieu principalement pendant la saison sèche et l’arrêt des activités agricoles. Elle s’étale sur six mois, de novembre à avril.

Par ailleurs, le flux migratoire est caractérisé par une migration interne et externe.
58% des migrants qui travaillent dans les mines proviennent de la Guinée ; la moitié d’entre eux (50%) sont originaires de la région administrative de Kankan. Ils sont majoritairement âgés de 25 à 35 ans (47%) et ne sont pas instruits.
Les migrants internationaux proviennent principalement du Burkina Faso, du Mali, de la Côte d’Ivoire, de la Sierra Léone et du Sénégal.
76% des migrants orpailleurs internationaux passent par la ville de Kankan avant de rejoindre le site d’orpaillage. 65% d’entre eux sont des saisonniers qui ont l’intention de retourner dans leur pays d’origine à la fermeture des sites d’orpaillage.
Une partie des orpailleurs migrent avec leurs dépendants (50% des migrants nationaux et 39% des migrants internationaux). Les migrants résident soit au sein des communautés hôtes, soit sur le site d’orpaillage lui-même, dans des habitations de fortune.
Les orpailleurs se caractérisent par leur très grande mobilité : en moyenne, un orpailleur passe entre deux semaines et trois mois sur un même site, ce qui signifie qu’il visite une dizaine de site tout au long de la période d’exploitation.
Cette mobilité accentue la problématique du suivi des enfants accompagnant les orpailleurs.
L’orpaillage artisanal, une activité organisée autour des Tombolomas
L’activité d’orpaillage artisanal fait intervenir divers acteurs, régis par une organisation sociale très bien structurée, comme illustré par le schéma ci-dessous :

Dans cette organisation sociale, on retrouve :
- le chef coutumier qui joue le rôle de médiateur en cas de conflit, aide à la reconnaissance de la paternité des terres à exploiter grâce à sa connaissance approfondie de la zone ;
- le propriétaire terrien à qui appartient le site d’exploitation. Il est concerné à partir du moment où la parcelle identifiée par le demandeur lui appartient ;
- le chef de site qui, grâce un accord verbal conclu avec le propriétaire terrien, acquiert le rôle de responsable du site : c’est à lui que tous les nouveaux arrivants voulant acquérir un trou doivent s’adresser ;
- le Tomboloma qui désigne la personne ou le groupe de personnes en charge de la sécurité des sites d’orpaillage ; il gère également les litiges et conflits entre mineurs et peut acquérir des trous ;
- le propriétaire de trou est la personne ayant acquis le droit de creuser un trou auprès du responsable du site à qui il rend compte. Pour superviser l’activité autour du trou qu’il a acquis, il désigne un chef de trou ;
- les orpailleurs sont composés des creuseurs de trous, tireurs et transporteurs de sable.
Quelle approche pour recenser et vacciner les enfants migrants ?
L’approche de recensement des enfants migrants éligibles à la vaccination est cyclique et repose sur une étroite collaboration entre les chefs de centres/postes de santé et les responsables des sites d’exploitation minière et les Tombolomas.

1. A la fin de chaque saison des pluies, lorsque les migrants se déplacent vers les sites miniers, les chefs de poste/centres de santé, assistés par les agents de santé communautaires et en s’appuyant sur l’influence des Tombolomas, procèdent à l’identification et à la géolocalisation des sites miniers.

2. Avant le démarrage du recensement, dans le but de préparer les Tombolomas à leur rôle « d’agent communautaire » dans la mine, ils sont orientés sur les attentes et les outils qu’ils sont appelés à manipuler.
3. Une fois tous les sites miniers identifiés et géolocalisés, les Tombolomas orientés, les agents de santé communautaire (ASC) aidés par ces derniers recensent les enfants éligibles à la vaccination. Les données ainsi générées sont prises en compte dans l’élaboration des micro plans pour la vaccination.
4. Selon une périodicité définie, le chef de centre/poste organise de concert avec le Tomboloma une session de vaccination en stratégie déplacée, avancée ou mobile sur le site d’exploitation et/ou à tout autre endroit convenu avec le Tomboloma. En prélude aux sessions de vaccination, les Tombolomas sont mis à contribution pour d’une part, mettre à jour les registres (enregistrement des arrivées / départs, création de nouveaux sites), et d’autre part, pour mobiliser la cible pour une couverture vaccinale optimale.
La mise en œuvre réussie de cette approche suppose la collaboration étroite des Tombolomas et le couplage des sessions de vaccination avec d’autres activités complémentaires, telles que la supplémentation en vitamine A, le respect des consultations pré-natales (CPN) et post-natales (CPoN), etc.